Preview de Journey : un sommet de poésie
Journey nous invite à un voyage émouvant à travers les paysages d'un monde abandonné. Attention, nouveau jalon de poésie vidéo-ludique en approche.
Pas de mission « rôliste », pas d'ennemi à combattre, une topographie totalement affranchie du poncif du donjon et du village, cette plongée dans l'inconnu ludique peut effrayer. Mais en son creux, la promesse est de taille. Entre le crissement velouté des grains de sables sous nos pas et les visions de somptueuses cités perdues, notre première session d'essai sur la version bêta fut rythmée de nombreuses fulgurances esthétiques : petit tour d'horizon avant le grand voyage.
Si les prémices de l'aventure resteront opaques au long de l'aventure, quelques éléments du récit de Journey se sont laissé deviner en cours de progression - c'est même leur mode de dévoilement spécifique. On découvre d'abord le protagoniste, mystérieux personnage vêtu d'une longue cape rouge avec pour tout visage une surface noire percée de deux yeux clairs effilés. Les vestiges qui parsèment le décor évoquent quant à eux le souvenir d'une civilisation oubliée, qu'un lointain cataclysme a peut être décimé. A l'horizon se dresse une montagne, intimidante énigme qui sert de destination autant que de boussole. Quand bien même le récit conservera son mystère tout au long de la partie, la solennité des paysages posait dès ce premier niveau une atmosphère captivante.
A l'image de sa montagne, le projet Journey étonne. S'agit-il d'un jeu d'aventure en monde ouvert à l'instar de Shadow of the Colossus, auquel il fait irrémédiablement penser ? « Pas vraiment », nous éclaire Brian Singh, développeur sur le jeu rencontré lors de l'E3 : « le jeu s'appuie sur la même construction que flower, en parcours fermés ». Comprendre, des niveaux qui semblent être vastes et ouverts, mais qui sont en fait confinés « en couloirs et arènes », dans des limites subtilement dessinées par la topographie.
Falaises naturelles, édifices infranchissables, dunes aux pentes trop abruptes, l'itinéraire est ainsi délicatement suggéré par un level-design qui, tout en proscrivant le mur invisible, donne constamment l'impression de prolonger les environnements à l'infini : une véritable prouesse, qui permet à la petite équipe de développement (13 personnes en interne) de livrer un monde visuellement cohérent sans s'astreindre à une charge de travail intenable.
Des sublimes visions désertiques à celles découvrant les ruines de temples taillés dans la roche, chaque coup d’œil sur ce monde mutique semble charrier des bribes de son Histoire imaginaire, qui se passerait presque de cinématique. Sans conteste, la direction artistique talonne celle des jeux estampillés Ueda (Ico et Shadow of the Colossus), qui partagent son goût pour les mondes abandonnés par l'homme et rendus à la nature par l'usure du temps. Dans ces derniers comme dans flower, c'est précisément le silence des personnages, au cœur du mystère, qui permet à une autre sorte de narration de se développer, contée par le décor, la nature et les vestiges du passé. Petit à petit, le désastre de civilisations disparues se dévoile ainsi en sourdine, laissant l'imagination libre de relier les points.
Dérivée des mécaniques plateforme, le gameplay propose simplement de se déplacer, sauter, et interagir avec certains éléments clés du décor. Jamais axée sur l'exploit du franchissement héroïque ni sur le risque de mort - rien de tel dans ce jeu - la prise en main, simple et directe, met surtout l'accent sur le rythme de la progression - celui d'une marche à vive allure - et la grâce légère de la trajectoire tracée dans le plan. Pour avancer, le game design nous incite à freiner notre allure et ainsi prêter attention au détail, l'environnement fourmillant d'éléments avec lesquels il est possible d'interagir. Toucher une stèle mortuaire ou un drapeau fiché dans une dune provoquera un changement dans le décor qui, bien souvent, ouvrira le chemin vers la suite.
Aucune de ces interactions n'est cependant « préparée » par un tutoriel, qui en indiquerait la règle et le résultat. On est donc constamment surpris par les conséquences de notre furetage, qui fera ici apparaître un pont, là ouvrira une porte, ailleurs nous projettera en l'air vers une plateforme en altitude. Autant de micro-évènements magiquesqui entretiennent le caractère expérimental de Journey et poussent à l'exploration dans son sens le plus pur, où la seule récompense réside dans les évènements, sensations et panoramas que recèle le parcours lui même.
Ouvert à l'expérience coopérative qui exclut toute idée de compétition, Journey tente également une nouvelle approche du multijoueur coopératif, dépouillée des « oripeaux communautaires » habituels : « pour ne pas risquer de distraire le joueur de son périple », précise Singh. Pas de pseudonyme affiché sur la tête du perso ni de fenêtre de chat, les joueurs ne pourront rien connaître de leur compagnon de jeu et n'auront pour seul option de communication qu'un appel (le son en est d'ailleurs magnifique). Les parties partagées proposeront quelques interactions nouvelles : avec l'aide d'un autre joueur nous avons, par exemple, pu atteindre une hauteur par projections successives. Une belle qui idée qui nous fait ressentir la présence d'un compagnon de jeu d'une manière tout à fait neuve dans la solitude des espaces désertiques.
Il faut dire un mot de la technique sans faille qui soutient Journey, complètement dévouée à sa direction artistique. Sans excès de zèle, elle dispose un jeu d'ombre et de lumières qui produit à l'écran des contrastes puissamment évocateurs. Tantôt mortifères ou effrayants, tantôt mystiques lorsque la brume s'invite pour camoufler des vestiges oubliés, les panoramas en clair/obscur sont simplement parmi les plus beaux qu'ils nous ait été donné de voir dans un jeu. Collant de près au moindre évènement, la bande son faisait elle aussi des merveilles, mélangeant musique et bruissements du monde en une nappe de son rêveuse à laquelle vient s'ajouter l'étrange appel cristallin de notre personnage.Ici résidera probablement la grandeur promise de Journey, dans cette harmonie entre les pôles techniques, esthétiques et ludiques, au service du ressenti du joueur. Mettant un point d'honneur à placer l'émotion au premier plan, l'équipe de développement en a même fait le cœur de son projet, nous confiait Singh : « Chaque zone a été modelée dans le but d'évoquer une humeur, un état d'esprit. Notre objectif premier était de faire passer le joueur d'un sentiment à un autre au gré des décors parcourus ».
C'est le parti pris radical qu'embrasse Journey ; se passer de la quincaillerie habituelle du jeu vidéo - interface, scoring, inventaire, fenêtre de chat - pour ne garder que l'essence de l'émotion vidéo-ludique : celle ressentie dans le simple fait de parcourir un décor, au rythme de la marche. Un geste à la fois humble et extrêmement ambitieux qui annonce l'une des plus belles expériences vidéo-ludique de cette année, tenez vous le pour dit.
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