Dépassant toutes les attentes, Portal 2 est un pur chef-d'oeuvre dont les qualités nous ont totalement submergé. Attention, jeu majeur absolument immanquable.
Voici Chell, l'héroïne de Portal
Habile mélange de jeu de réflexion et d'action en vue à la première personne, le premier Portal avait laissé le souvenir d'un parfait petit jeu à la cohérence de chaque instant. Il était malgré tout difficile d'imaginer le degré d'excellence auquel serait élevée sa suite, qui excède nos espérances en tout point. Projet total exprimant le plein potentiel ludique et narratif de son postulat initial, Portal 2 est l'aboutissement du game-design selon Valve : une narration somptueusement intégrée à un gameplay de génie. Cerise sur le gâteau, l'ajout d'un mode multi coopératif captivant finit de nous convaincre : plus qu'une simple référence, Portal 2 est une boussole pour le futur du jeu vidéo.
Premiers pas
Aperture Science dans toute sa froideur métallique
Souvenons-nous :
le protagoniste du premier Portal avait réussi à s'échapper des locaux aseptisés d'Aperture Science, gigantesque laboratoire d'« expériences » sur sujets vivants auréolé d'un profond mystère. On pensait au passage avoir détruit l'ordinateur GLaDOS, nemesis au cynisme délicieux, l'un des plus fabuleux personnages qu'ai vus naître le jeu vidéo. Les dernières images ne laissaient aucun doute : la pauvre humaine rattrapée par le collet ne gambaderait pas de sitôt dans les vertes prairies. En douceur, Portal 2 prend le relai du premier épisode alors que l'héroïne émerge de son sommeil séculaire... dans une chambre des locaux d'Aperture Science. Commence alors
une nouvelle tentative d'évasion à travers le complexe, dévasté de fort belle manière par les outrages du temps.
Dès les premiers instants, Portal 2 impressionne par sa
réalisation de blockbuster opulent : les niveaux parfois gigantesques sont agrémentés d'effets lumineux toujours plus précis et les textures affinées assurent la cohérence jusqu'au plus petit détail. L'environnement sonore est également irréprochable, restituant à merveille les ambiances feutrées ou caverneuses des espaces parcourus. Très vite, la progression s'aventure hors des strictes salles de test, dans des couloirs délabrés où prolifèrent les herbes folles, retranscrivant le passage des années avec un admirable sens de la composition. Quant au fameux
moteur physique du Source Engine, toujours au centre du gameplay de Portal 2, il est si bien intégré qu'il en devient juste invisible.
Danger droit devant ?
En guise d'introduction au mode solo, la première partie déjà conséquente reprend assez strictement le modèle du premier épisode : des salles de test au design épuré
permettent de renouer sans heurt avec un gameplay parfois vertigineux, sans toutefois refouler les novices grâce à une difficulté parfaitement dosée. Pour rappel, le jeu se fonde tout entier sur la création de portails (une entrée, une sortie) au moyen d'un outil pointeur que l'on manipule en vue FPS. Le
gameplay reposant tout entier sur les interactions avec l'environnement, c'est le
level-design lui-même qui devient l'objet de notre réflexion.
Les nouveautés du gameplay
Le lobby d'entre-test et son écran explicatif
Passé le temps de la découverte, les choses sérieuses commencent lorsque l'on découvre les nouveaux "outils" disposés dans les niveaux. Aux côtés des lasers, cubes et tourelles déjà présents dans le premier épisode, on découvre les ponts de lumières et autres tunnels de gravitations redirigeables à loisir par portails interposés, qui compliquent d'un cran la lecture du décor. Pensés pour être utilisés de multiples façons, il faudra parfois réfléchir hors des sentiers battus pour en trouver la bonne application. Mais quoi qu'il arrive, la rigoureuse logique qui préside à la construction des niveaux assure la justesse du parcours, et le cheminement finit toujours par apparaître à force d'observation et d'expérience sur le niveau. En récompense, le moment précis où germe la bonne idée dans l'esprit du joueur procure un sentiment de satisfaction mêlée de mérite absolument jouissive.
Valve ne se satisfait pourtant pas de cette nouvelle couche de gameplay, qui aurait presque suffi à fonder l'édifice d'une grande suite. À mi-parcours, un nouveau principe fait en effet son entrée, à la fois simple et génial : le gel liquide. Ces derniers se présentent comme une sorte de peinture dotée de fonctions particulières : l'orange accélère notre vitesse, le bleu rend toute surface rebondissante et le blanc permet de placer des portails sur tout endroit où il est projeté. Pleinement exploités au cours de l'aventure, ils donnent lieu eux aussi à de grisantes percées d'intelligence.
L'acte deux est le moment des espaces plus ouverts
Le level-design, impressionnant de maîtrise, est plus que jamais la pierre angulaire de ces éléments. Saturé d'idées géniales (au moins une par salle), le décor époustoufle régulièrement par l'intelligence de son agencement, sans jamais oublier de soigner la composition esthétique. Les derniers niveaux opèrent à ce titre une synthèse magistrale de toutes les strates du gameplay en des panoramas hallucinés d'une modernité scientifique devenue folle. En parfaite harmonie avec l'aspect fonctionnel des décors, les visions sidérantes se succèdent et rappellent par moment la puissance esthétique d'un Half Life 2 : à cet égard, la concordance entre les deux mondes n'a jamais paru si grande.
Un multijoueur coopératif captivant
Introducing Atlas and P-Body !
Épuisés mais heureux, on se serait satisfait de
l'aventure solo qui atteint allègrement les 8 à 10 heures : plein à craquer, sans temps mort, émouvant et jouissif sur le plan ludique, il comble totalement les attentes. Surprise,
le mode multi coopératif fait office de deuxième jeu dans le jeu, permettant à deux joueurs de se lancer à l'abordage d'un grand nombre de nouvelles salles, pour une durée de vie relancée d'au moins 8 heures. Cette seconde aventure se paye même le luxe de renouveler le jeu en multi coopératif, avec une étourdissante réussite. On y interprète deux compères robots, lointains cousins de Wall-E missionnés par GLaDOS pour enchaîner les tests.
Le gameplay repose alors sur une compréhension conjointe du niveau suivie d'une action synchronisée. Les quatre portails (deux par personne) seront systématiquement nécessaires pour voir le bout de chaque salle, et la coopération obligatoire. Problème : les actions que l'on essaie de décrire à son partenaire sont parfois si élaborées que le simple fait de communiquer une idée devient une lutte de chaque instant. Grandiose réussite de ce mode multijoueur :
l'esprit de coopération exhorte alors à un niveau de dialogue et d'écoute rarement atteint dans un jeu. Ce qui n'empêche pas une délicieuse compétition de s'installer entre les partenaires, dont l'enjeu serait d'être le premier à comprendre le cheminement et à l'expliquer... compétition qu'entretient d'ailleurs cette vieille bique de GLaDOS, qui ne manque aucune occasion de chambrer le plus passif des deux.
Après la réflexion vient l'action, puisqu'il il faudra synchroniser ses efforts selon le bon timing... et pour quelle récompense ! Le moment où les deux joueurs réussissent à harmoniser leurs gestes respectifs est à ce titre un grandiose moment de partage. La multiplication des portails et des étapes de jeu s'accompagne logiquement d'une augmentation de la difficulté (qui ne vient pas seulement du grand défi de la « communication inter-joueur »).
Le parcours se complexifie jusqu'à proposer un véritable challenge, même pour les vieux briscards du portail. Cela dit, le
level-design reste toujours aussi rigoureux et les problèmes ne viennent jamais d'un agencement moins précis des murs où d'un timing trop serré de l'action. Tout est to
ujours accessible à tout le monde pour peu que l'on y investisse le temps.
Une claque narrative
Hors énigmes le jeu recèle aussi des surprises
Cerise sur le gâteau concernant ce mode multijoueur, la narration n'a jamais lâché son emprise.
À chaque évènement, son revers narratif, sous la forme de formules piquantes et drôles proférées par une GLaDOS qui ne cesse jamais de se construire comme personnage en hors champs. Les robots eux-mêmes, dotés de jouissives animations de victoire, sont des personnages à part entière auxquels on s'attache en un instant. Logiquement, le mode solo est le lieu où la narration explose : les phases de jeu et de récit s'y emboitent le pas sans césure ni transitions visibles. À tout moment, la narration à l'affut peut faire irruption dans le champ du jeu, et la résolution d'une énigme aboutir sur une séquence de fuite effrénée. Cette constante interpénétration du récit et du jeu, qui est la marque de l'art de Valve, atteint ici
une forme d'aboutissement incontestable.
Si l'écriture est si drôle et d'une telle qualité, c'est qu'elle réside d'abord dans l'approche « en vue de la scène vécue », produisant des effets qui seraient impossibles ailleurs que dans un jeu vidéo. Le dialogue n'est pas simplement intelligent : avant toute chose,
il nécessite la participation du joueur pour créer son effet. Exemple : avant d'activer un mécanisme dans le décor, le robot Wheatley nous demande par pudeur de nous retourner; réitérant sa demande de moins en moins patiemment jusqu'à obtenir gain de cause; les scènes de ce type sont fréquentes, et produisent de fantastiques effets de narration participative.
Le nouveau personnage est d'ailleurs l'une des plus grandes réussites de Portal 2, à l'origine de développements narratifs d'une profondeur insoupçonnée. Au départ gentil benêt,
Wheatley prend une ampleur telle qu'il infléchira tout le cours du récit, signe de la capacité du développeur à plonger dans la fiction et à tenir son intensité de bout en bout. Cette prééminence du récit, non contente de maintenir l'intérêt et le rythme, permet l'existence de
trois actes aux saveurs bien distinctes, dans une imparable montée en puissance.
La recomposition du décor en action
Si le premier acte ressemble à un Portal gonflé à bloc, le second opère un
basculement vertigineux dans le programme bien huilé des expérimentations. Livré à sa solitude, le joueur s'y laisse guider par le seul level-design dans un esprit d'exploration brute et de contemplation hébétée. Passé ce renversement fascinant où le monde de Portal se déploie enfin sur une tout autre échelle, le troisième acte accélère le rythme et
reprend le principe des tests du début de l'aventure, pour les faire complètement délirer. En point d'orgue, le mode solo se termine à grands fracas, dans une course furieuse à travers un décor en constante recomposition, jusqu'à un final à la hauteur de notre investissement émotionnel.
Conclusion
On s'attendait certes à une claque, mais Portal 2 s'avère un authentique chef-d'œuvre et une leçon de game design à l'usage de l'industrie. Alliant la pratique d'un
gameplay profond et la constante motivation « affective » à poursuivre le récit, l'aventure solo est le fruit d'une alchimie rarissime entre ludisme et narration qui suffirait déjà à justifier l'engouement. L'ajout d'un mode multijoueur captivant finit donc de nous convaincre : à tous points de vue, il s'agit bien de cet immense jeu caché dans les replis du premier épisode, qui n'a jamais tant fait figure d'introduction.
Gamers de tous bords, réjouissez-vous : Portal 2 rejoint les rangs des meilleurs jeux de tous les temps.
P.S. : Notons finalement que, si la version PC reste logiquement la plus jolie, la version 360 est graphiquement en léger retrait sans l'antialiasing de la version PS3... Ce qui n'empêche pas le jeu d'être une merveille sur tous les systèmes.