Test Alan Wake
Après deux Max Payne révolutionnant le jeu d'action à la troisième personne, Remedy s'attaque à un genre sur lequel beaucoup se sont cassés les dents avant lui sur next-gen : le Survival Horror. Si l'orientation action est désormais indispensable pour qui veut séduire un public suffisamment large pour s'assurer de la pérennité de sa structure, Alan Wake est là pour montrer à tous qu'une alternative est possible au gore de Silent Hill, au soupe au lait de Resident Evil et à l'ambition démesurée d'un Alone in the Dark. Après cinq ans de développement pour le studio et d'inquiétude pour les joueurs, il est enfin temps de vous livrer notre verdict sur Alan Wake.
La possibilité d'une île
Alan Wake est écrivain. Deux ans passés à souffrir du syndrome de la feuille blanche l'ont convaincu de se mettre au vert quelques jours avec sa compagne, Alice, dans un coin paumé de l'Amérique profonde nommé Bright Falls. À la croisée de Silent Hill et Twin Peaks, cette bourgade lui permettra sans doute de faire le point avec ses orteils. On le sait bien, « les gens heureux n'ont pas d'histoire » : Alan va donc rapidement se retrouver tiraillé entre la recherche de sa femme disparue et la transformation mystique de Bright Falls, désormais peuplé d'ombres visiblement très motivées à l'idée de lui faire visiter l'au-delà. Pire, il semblerait qu'Alan soit responsable, d'une façon ou d'une autre, de ces deux malheurs qui se chevauchent, voire se confondent par moment. Qu'à cela ne tienne, c'est à coup de lampe de poche qu'il va ramener tout ce petit monde à la raison.Aux quatre coins de Bright Falls, Alan devra naviguer à vue, à peine aidé par quelques émissions radio ou télé à débusquer çà et là dans le décor. On sent qu'un gros travail a été réalisé par Remedy au niveau de la cohérence de son univers, offrant de fait à l'histoire un cadre parfait pour s'exprimer. On a un peu l'impression que le scénario part en « wai » vers la fin de l'aventure, qui se garde bien de nous livrer toutes les clés nécessaires à la totale compréhension de l'intrigue (DLC, me voilà !) ; mais qu'importe, nous n'aurons jamais l'occasion de lâcher le pad avant l'affichage des crédits, une petite quinzaine d'heures - en Difficile - après notre arrivée dans la cité.
Alan is Mauricette
Alan Wake jouit en effet d'un système de jeu partagés à parts sensiblement égales entre l'élimination des ombres, qui se fait en deux temps, et la recherche des réponses évoquées précédemment. Un équilibre savamment entretenu par un découpage en chapitres façon série télé qui, en plus de citer ouvertement le décevant Alone in the Dark, permet à Remedy de s'assurer la maîtrise totale des climax scénaristiques et de la décence de votre inventaire, très régulièrement remis à zéro par le jeu. Cet archaïsme ludique vous poussera sans cesse à l'exploration, voire à la fuite de l'action par moment, tant les ennemis sont coriaces et votre stamina limitée. En ce sens, le studio finlandais réussit enfin le parfait mariage des genres conjoints que sont l'aventure et l'action. Explication.
Les affrontements se composent donc, comme nous l'évoquions précédemment, de deux parties bien distinctes. D'une, il s'agira de se débarrasser des ténèbres qui protègent chacune des âmes damnées que vous rencontrerez. Votre fidèle lampe de poche sera alors votre plus sérieuse alliée, à moins que vous ne préfériez une torche de détresse, redoutable mais éphémère, pour reprendre vos esprits en cas d'attaque groupée. Une fois l'ennemi débarrassé de son aura ténébreuse, plus ou moins importante suivant sa résistance, il faudra finalement lui caler quelques bastos en pleine poire pour le renvoyer chez lui. Votre flingue ou un fusil à pompe fera alors amplement l'affaire. Au pire, quelques grenades flashs voire un bon coup de lance-fusées vous assureront un répit salvateur, officiant en qualité de produit deux en un : la carapace ténébreuse comme sa résistance physique ne résisteront en effet pas à ces deux pétoires. Attention toutefois, les munitions de ce type sont rares, donc très précieuses.
La possibilité d'esquiver, en pressant LB avec une direction, sera l'occasion d'éviter les attaques de mêlée comme les projectiles, dont l'animation semble tout droit issue de Resident Evil 4. Un timing parfait (il faut bien anticiper) sera récompensé par un ralenti très « Max Paynien » dans l'esthétique mais dont le principal intérêt sera évidemment de vous octroyer quelques centièmes de seconde supplémentaire de réflexion. Les ennemis sont en effet très rapides, plus que vous en tout cas, et il sera fréquent de se faire cerner - et abattre - par un groupe d'ennemis dont on avait sous-estimé le nombre. Par moments frustrant, ce système d'esquive sera parfois le prétexte à d'inexcusables mouvements brouillons de la part de la caméra, surtout dans les lieux confinés. Il est toujours rageant de perdre lorsque l'on ne commet pas d'erreur.
Le GTA du Survival ?
Sortir des sentiers battus de l'aventure vous permettra peut-être d'aborder plus sereinement vos prises de bec avec la faune locale. Car Remedy ne s'est pas contenté d'un petit chemin brumeux qui fait peur. Chaque zone offre son lot de recoins vous permettant de faire le plein de munitions ou de piles pour votre torche, voire de débusquer quelques éléments cachés à collecter pour le plaisir (et les succès...). Ainsi, on peut très bien tracer en ligne droite, mais ce serait passer à côté d'un bon paquet d'éléments apportant beaucoup à la cohérence de Bright Falls ainsi qu'à la psychologie du héros. Il parait cependant légitime de regretter l'impossibilité de « zapper » l'affichage du prochain objectif à l'écran et la direction à suivre, gâchant parfois le plaisir de la recherche et de la découverte tout en étant assez ingrat esthétiquement. Compte tenu de l'intensité du conte fantastique qui se joue devant nous, on aurait souhaité que Remedy se débarrasse de ce poncif ludique pour nous laisser errer dans ces environnements beaux et larges, quitte à proposer de l'aide aux joueurs en détresse via le menu de pause. On peut comprendre que Remedy ait eu peur de perdre ses joueurs, mais on peut également regretter que le choix ne nous soit pas proposé.
Quand Alan Wake n'est pas occupé à frire l'opposition, il arpente donc les quatre coins de Bright Falls, décidément composé de bien plus d'une facette. Si l'inquiétante forêt qui cerne la ville sera le cadre principal de vos balades nocturnes (ce qui pourrait finir par lasser), occasionnant l'une des plus belles envolées esthétiques de ces dernières années (les arbres qui plient sous le vent, l'obscurité générale faiblement combattue par votre torche qui commence à manquer de batterie, les munitions qui s'amenuisent tandis que les ennemis affluent... tout simplement magique !), on passe pas mal de temps dans les lieux majeurs de la cité : la scierie, le pic montagneux et ses chalets, la favela où vit la surprenante Rose (difficile de ne pas y reconnaître Lisa, l'infirmière de Silent Hill) ou encore la maison de repos pour artiste perturbé sont autant d'environnements charismatiques dont on ne doute pas un instant de l'existence. Remedy a fait le bon choix en nous livrant un titre dirigiste dans son déroulement laissant néanmoins suffisamment de latitude pour impliquer le joueur sans qu'il ait l'impression d'être tenu en laisse. Le déroulement du jeu est sensiblement redondant (recherche, combat, recherche...), et pourtant l'intérêt ne faiblit pas un seul instant pour peu que vous accrochiez à l'univers. Si ce n'est pas le cas, l'expérience Alan Wake risque fort d'être bien morose pour vous...
Heureusement, c'est aussi par quelques touches bien senties qu'Alan Wake se refuse toujours à nous dès qu'on pense l'avoir parfaitement appréhendé. Des séquences originales, souvent marquantes, nous sont en effet proposées : ce concert rock pendant lequel Alan « pogotte » sec (qui a dit Left 4 Dead 2 ?) avec une flopée de vilains ou cette chasse à l'homme épique où la lumière deviendra - l'espace d'un instant - votre principale ennemie en sont peut-être les meilleures illustrations. Le combat ubuesque contre la moissonneuse batteuse ou les quelques séquences en voiture, durant lesquels les ombres tâteront de vos phares et surtout de vos roues (renvoyant au Zombie de Romero ou plus directement à un certain Carmaggedon) sont également les bienvenues pour assurer le renouvellement général de l'action, sans non plus débarquer comme des cheveux sur la soupe. Certes, ces passages motorisés souffrent d'un certain nombre de problèmes, au niveau de la jouabilité comme de la technique ; ils permettent néanmoins au joueur de se faire une autre idée des lieux qu'il visite, plus générale, et donc d'apprécier une nouvelle fois tout le liant qui cimente les différentes parties de Bright Falls.
Un jeu fantastique !
Shutter Island, Shining, Twin Peaks, Hitchcock, Chihiro pour le cinéma, Stephen King, Bret Easton Ellis, Kafka ou Lovecraft pour la littérature, Alone in the Dark, Resident Evil, Silent Hill, Project Zero, Max Payne ou encore BioShock pour le jeu vidéo. Voilà autant de références (entre autres) ouvertement citées ou non, que l'on peut retrouver en jouant à Alan Wake ou simplement en profitant de sa mise en scène parfaitement calibrée aux personnages complexes et attachants. Loin du melting pot foireux ou du plagiat éhonté, Remedy affiche ses goûts sans compromission, offrant à certains artistes ou certaines œuvres le mérite qui leur revient dans le renouvellement du genre fantastique. Chacun y trouvera nécessairement son compte ici encore, les allusions et autres détails visuels étant si nombreux qu'il parait inconcevable que même le plus distrait des joueurs n'en perçoive aucun. Jamais facile, jamais prévisible, Alan Wake enchaîne les choix judicieux à tous les niveaux ou presque, nous offrant une œuvre pleine ne demandant qu'à être décryptée, sans en oublier d'être sympa à jouer. Le manuscrit du héros, dont on ramasse les pages au fur et à mesure de l'aventure, est d'ailleurs l'une des cartes maîtresses d'Alan Wake : correctement écrit et parfaitement intégré à l'aventure dont il est l'une des clés, cet ouvrage se montrera pratique à plus d'un égard, même si nous n'en dirons pas plus à ce sujet par respect pour le joueur vierge que vous êtes pour le moment.
Remedy a mis toutes les chances de son côté pour séduire les amateurs de fantastique, et c'est techniquement que cela se voit le plus. Les panoramas lors des rares moments de jour sont tout simplement sublimes tandis que la noirceur qui accapare la plupart des pérégrinations d'Alan jouit d'un éclat particulier la rendant à la fois belle et terrifiante. Observées de près, les textures et autres animations d'Alan Wake ne figurent pas parmi les plus belles de la console, et c'est comme souvent la direction artistique infaillible (ou presque) qui vient nous coller une vraie baffe. On a déjà évoqué la toute-puissance de la forêt, mais que dire de la construction logique de tous les bâtiments que l'on arpente, ou même des structures industrielles que l'on traverse ? Sans qu'Alan Wake ne nous propose de monde ouvert, on ne se sent jamais vraiment cloisonné dans un univers insaisissable, construit à la va-vite et donc sans queue ni tête. La plus grande force du jeu réside, vous l'aurez sans doute compris, dans cette cohérence que nous vantons depuis le début de l'article.
Mieux, les décors fourmillent de détails et d'objets, autant de symboles d'une tranquillité passée que votre présence dans le coin a rendue définitivement muette. Votre lampe torche, loin d'insuffler un quelconque souffle de vie aux demeures qui accueilleront vos pas de célébrité, mettra au contraire en exergue la désolation qui règne à Bright Falls. La gestion des lumières, sans être exempte de tout défaut, vous forcera régulièrement à balader la caméra pour profiter des teintes de couleur changeantes et des nouvelles perspectives qui s'offrent à vous. Éclairée ou non, la ville n'est plus du tout la même, vous octroyant de fait un pouvoir énorme sur ce cosme parfois hostile, souvent vide mais de toute façon jamais accueillant. Les bruitages et la bande-son ne vous seront d'aucun secours dans l'aventure, les superbes thèmes succédant aux lourds bruits du vent avec une aisance propre aux grosses productions d'aujourd'hui. Seuls regrets : certains doublages français, qui tranchent un peu trop avec la voix suave d'Alan, et quelques musiques de combat qui se stoppent parfois sans naturel viennent quelque peu nous rappeler que nul n'est infaillible.
Conclusion
Qui a dit que le Survival Horror était mort ? Remedy nous prouve une nouvelle fois sa valeur en développant ce que Resident Evil, Silent Hill et Alone in the Dark n'ont pas su être avant lui : un formidable jeu d'action/survie next-gen visuellement bluffant et absolument passionnant de bout en bout. Bien sûr quelques stigmates de son développement à rallonge demeurent, en premier lieu desquels figurent quelques ratés techniques, des cinématiques d'un autre temps et quelques choix de game design désuets voire frileux. Ces écueils restent néanmoins dérisoires une fois opposés à l'ambiance majestueuse qui cueillera les joueurs en quête de sensations fortes. Devait-on en exiger plus d'Alan Wake, compte tenu de ces cinq longues années de développement ? La question reste posée, même si en l'état la qualité globale du jeu ne laisse que très peu de place pour la déception. Définitivement un must-have de la console... pour qui aime jouer à se faire peur, évidemment !
Alan Wake
Remedy / Microsoft
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Réalisation | ||
Prise en main | ||
Durée de vie | ||
Très joli
Jeu profond et drôle
Dirigisme bien masqué
Ultra référencé, pour tout le monde
Mise en scène enlevée
Cinématiques moins belles que le jeu
Certains doublages ratés
Quelques soucis de caméra
Gameplay redondant
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